DOSSIER /
Depuis le milieu du XIXe siècle, Anastasie représente le visage de la censure dans le monde culturel francophone. Dès 1923, son image a été utilisée au Québec en relation avec la censure au cinéma. Très symbolique, cette mégère est affublée d'une longue paire de ciseaux, de lunettes qui augmentent l'acuité visuelle et d'une chouette sur son épaule qui peut voir même dans l'obscurité des salles de cinéma.
La censure au cinéma est apparue dès la naissance du septième art au début du XXe siècle. Au Québec, le clergé s'en est vite chargée, l'État demeurant peu préoccupé par ces courts films montrant des scènes de la vie ordinaire. Avec le rallongement des films, l'élargissement de la diffusion et la complexification des sujets, le clergé se sent vite menacé de perdre le contrôle sur les valeurs morales de ses citoyens, d'autant plus que les Québécois.es sont de plus en plus friand.e.s du cinéma. L'Église estime ces vues animées comme étant « une école du soir tenue par le diable ».
Demande de fermeture des cinémas le dimanche
En 1907, l'Église, sous l'initiative de Mgr Paul Bruchési, demande à Québec d'interdire la projection des films le dimanche. Le dimanche était souvent la seule journée de congé pour les travailleurs qui œuvraient pour la plupart 60 heures par semaine. Le premier ministre Lomer Gouin acquiesce à sa demande et envoie la police pour avertir les propriétaires de salles que des amendes seront imposées aux récalcitrants. Certains propriétaires défient les exigences et aiment mieux payer l'amende que de se priver de revenus. Certains vont même, afin de contourner le règlement, octroyer un accès gratuit le dimanche à ceux qui achètent des bonbons. Ernest Ouimet, propriétaire du Ouimetoscope, est ciblé plus particulièrement et il refuse de payer ses amendes. S'entame une bataille juridique de 5 ans qui se rend jusqu'en Cour suprême et enfin donne raison à Ouimet.
Dépité, le clergé québécois se tourne encore vers le gouvernement. Ils réussissent à interdire l'accès des salles aux moins de 15 ans (à moins que ceux-ci soient accompagnés de leurs parents) et mettent des pressions pour que l’État instaure des mesures légales de censure. Aux États-Unis, en Angleterre, en France et même en Ontario, les gouvernements ont instauré ou s'apprêtent à créer un organisme étatique qui évalue les films et les accepte ou non selon un ensemble de critères.
Création du Bureau de censure des vues animées
Le 1er mai 1913 est créé le Bureau de censure des vues animées. L'organisme est composé de trois nominations politiques qui ne possèdent aucune expérience dans le monde du cinéma. Dorénavant tout ce qui est « immoral » est banni : les scènes suggestives, les scènes vulgaires, de violence, de meurtre, de suicide, de divorce, et les scènes où les prêtres sont tournés en ridicule ou exposés au mépris. Tout ce qui pointe vers la sexualité est considéré comme un mal absolu : s'embrasser, se caresser, faire des yeux doux, montrer le galbe d'une longue jambe ou le rose de la chair d'une épaule, un mouvement de désir, sont à proscrire et sont sujets à la coupure.
Contrôle de l'Église sur la moralité
Les autorités ecclésiastiques surveillent de près le cinéma et le travail du bureau de censure. Il n'est pas rare que des prêtres sont appelés en consultation pour certains films, dont ceux qui mettent en cause l'image de l'Église. C'est le cas du film La passion de Jeanne d'Arc (1920) de Carl Theodor Dreyer qui représente les visages des moines à l'image de porcs avec des airs voraces. Ces scènes sont évidemment coupées.
L'Église compte aussi sur diverses associations pour l'aider dans sa croisade contre l'immoralité au cinéma : ligues de décence, ligues de moralité, ligue de commis voyageurs, ligues de bonnes mœurs, ligue du Sacré-Coeur, ligue du dimanche, Legion of Decency du Canada anglais et des États-Unis. Il est à noter qu’au Québec dans les années 20, on compte 1 religieux par 150 habitants.
À partir de 1923 les censeurs modifient et interdisent de plus en plus de films. La grogne grandit chez les distributeurs américains qui menacent de ne plus faire parvenir de films au Québec. La réaction est immédiate dans les journaux québécois et dans les associations catholiques qui appuient le premier ministre Taschereau qui ne compte pas céder au chantage. Finalement, Hollywood, voyant ce marché leur échapper, change d'avis devant l’attitude ferme du gouvernement du Québec et de son bureau de censure.
En 1927, l’'incendie du cinéma Laurier Palace fait victimes de 78 enfants. C’ est le prétexte avancé par l'Église pour interdire pour de bon tous les enfants de moins de 16 ans dans les salles commerciales de cinéma. Ils profitent de la situation pour instaurer leur propre réseau de lieux de projection dans les salles paroissiales, les sous-sols d'églises et les auditoriums d'institutions scolaires pour concurrencer les salles commerciales tout en s'assurant que le contenu est conforme aux valeurs prônées par l'Église. Des ciné-clubs s'ajoutent afin de discuter des valeurs éthiques, humaines et religieuses des œuvres.
Malgré tout le travail de sape des ligues contre le cinéma, l'Église ne peut empêcher que l'assistance ne cesse d'augmenter dans les salles. Les prêtres ont beau faire signer aux fidèles le dimanche matin des pétitions contre le cinéma, les gens n'en font qu'à leur tête quand vient le moment d'aller au cinéma.
L'application du code Hays au Québec
À partir de 1928, le cinéma parlant arrive dans les salles et amène de nouveaux enjeux pour la censure. Les producteurs hollywoodiens ont endossé les prescriptions du « Production Code », une longue liste de critères moraux que William Hays a fait rédiger par deux personnes reconnues de religion catholique. Ces nouveaux critères (ainsi que quelques points ajoutés) sont aussitôt traduits et appliqués par le Bureau de la censure du Québec.
L'arrivée de Duplessis au Pouvoir
À la suite de ces nouvelles règles, on assiste à un resserrement de la censure. Puis avec la venue de Maurice Duplessis au pouvoir en 1934, le Bureau va s'acharner particulièrement sur les films français qui sont de plus en plus distribués au Québec
grâce à France Film et son directeur Joseph-Alexandre DeSève. Ce dernier se montre très coopératif avec le Bureau de censure et va même créer son propre comité de précensure. Toutefois, il dépasse les bornes lorsqu’il tourne dans son propre studio des passages de films qu'il substitue ou ajoute au film original pour que le film soit accepté par le bureau de la censure. Il lui arrive aussi d’apposer des notes morales dans les films.
Plusieurs se plaignent que les coupures effectuées par le Bureau de la censure rendent souvent les films incohérents et incompréhensibles. Les films français écopent davantage des ciseaux que les films américains surtout à cause des scènes qui touchent le divorce, l'adultère et l'infidélité conjugale. Environ 25 % des films subissent des coupures ou des modifications.
Le règne de Duplessis amène également un contrôle beaucoup plus serré sur les films à caractère « socialiste et communiste ». Durant cette période, le bureau de la censure est aussi mandaté de censurer les affiches de cinéma et les publicités dans les journaux.
Par temps de guerre, on procède aussi à la censure des actualités (les « newsreels ») pour soi-disant ne pas donner d'information à l'ennemi et ne pas décourager ou démoraliser la population.
Affaire Les Enfants du paradis.
Une des premières contestations publiques à la censure est venue en 1947. L'Association des étudiants de l’université de Montréal (AGEUM) obtient avec l'aide de l'ambassadeur de France une copie du film Les enfants du Paradis de Marcel Carné en vue d'une présentation lors de son gala annuel. Sorti en France il y a déjà 2 ans, le film est considéré comme un chef d’œuvre.
Le film n'avait pas pu être distribué au Québec, car il avait été catégorisé à déconseiller par la Centrale Catholique de France et aucun distributeur n'avait pris la chance d'en acheter les droits. Même s'il s'agit d'une représentation privée et que l'immunité universitaire devait s'appliquer, le Bureau exige qu'il en donne l'autorisation. Le Bureau demande à l'archevêque Joseph Charbonneau de leur envoyer un conseiller. À quelques heures de la projection, le film est visionné par le père Dunn, un jésuite, et par 3 organisateurs de l'événement. Après la première partie, le père dit aux étudiants que si l'actrice, en voie de s'engager dans une relation adultère, ne se ravise pas ou n'est pas punie, le film ne pourra pas être projeté. Comme cela n'arrive pas, le film n'est pas autorisé, malgré le fait que les étudiants en appellent auprès de l'archevêque. Devant une salle comble, les organisateurs annoncent que le film ne peut être présenté pour cause de censure et qu'ils vont présenter un autre film.
Cela provoque un incident diplomatique, l'attaché culturel quitte la salle avec fracas et dit qu'il s'agit d'une insulte envers la France. Les journaux en font grand bruit. Dans les jours qui suivent, le diplomate nargue les autorités québécoises en invitant des journalistes, des députés, des sénateurs et des membres du corps diplomatique à 3 projections privées du film. Le premier ministre Duplessis considère cet agissement comme une impertinence et riposte en disant que « les censeurs ont bien fait leur devoir et qu'il s'agit d'un manque d'égard à l'endroit de l'autorité constituée ». Les enfants du Paradis ne sera accepté au Québec que 20 ans plus tard, en 1967, l'année de la mort de la censure au Québec.
En 1947, sous la pression de Duplessis, un règlement ajoute les films 16mm à la censure puisque ce format devient de plus en plus utilisé surtout à l'ONF (un refuge de communistes selon Duplessis). Pour protéger la moralité, le Bureau de censure permet d'ajouter des préambules et des épilogues aux films. C'est ainsi qu’on a ajouté une note au film Montparnasse 19 relatant que Modigliani s'est marié alors qu’en réalité ceci n'a jamais eu lieu.
En 1953, l'archevêque Paul-Émile Léger est nommé cardinal. Il se méfie grandement du cinéma. Malgré un règlement interdisant la présence de toute autre personne que les censeurs aux projections au Bureau de censure, il bénéficie de projections spéciales à plusieurs reprises.
Une brochure Les catholiques et le cinéma, rédigé sous la forme d'un petit catéchisme (question-réponse), est publiée en 1956 par l'Église et distribuée à des dizaines de milliers d'exemplaires dans les paroisses du Québec.
L'affaire Maxime
En 1958, Unifrance-Films et France Film présentent la Semaine du cinéma français au Saint-Denis. Unifrance refuse de présenter le film d'ouverture Maxime d'Henri Verneuil parce que le Bureau de censure en a coupé 40 minutes sur 124.
L'incident entraîne des réactions dans les journaux et un des plus intenses moments de réflexion sur la censure qu'on ait connu à ce jour. Lors de la semaine, l'acteur Paul Dupuis, défenseur de la censure, prend la parole sur scène au nom de la survie de la famille, et condamne les critiques des étrangers qui devraient respecter le pays dans lequel ils sont de passage. À la suite de cet événement, André Laurendeau, éditorialiste du Devoir, dans un revirement à 180 degrés du journal, condamne la censure et prône la liberté pour les spectateurs. Signe d'évolution des mentalités, 2 ans plus tard le film est approuvé par le Bureau de censure avec seulement 2 minutes de coupures qui sont acceptées par le producteur français.
L'affaire Hiroschima mon amour
Le premier Festival international des films du monde de Montréal (FIFM) a eu lieu en août 1960. Le but du festival était de faire changer les mentalités et de s'attaquer à la censure. Le Festival obtient un visa particulier du Bureau pour tous les films, mais il est entendu que les films devront être approuvés par le Bureau si une distribution commerciale est envisagée. Le film Hiroshima mon amour d'Alain Renais y est présenté. Quelques mois plus tard, le film sort en salle amputé de 13 minutes composées surtout de scènes ou la situation d'adultère est vécue sans culpabilité. Les milliers de gens qui
avaient vus le film pendant le festival se rendent compte des coupures et des manifestations s'organisent devant le cinéma qui le présente. Les journaux s'en mêlent, des lettres ouvertes affluent, des éditoriaux réclament la fin de cette censure rétrograde. Les revues Objectif et Cité libre publient des articles de fond sur la censure, dont un retentissant article du psychanalyste André Lussier : « La censure ne provoque que l'infantilisme pathologique de la population .... on a eu à payer cher pour les vœux de chasteté des religieux mal dans leur peau ».
Le Rapport Régis
Toutes ces contestations amènent le nouveau gouvernement Lesage à former un comité pour l'étude de la censure au Québec. Il est composé de 5 membres, dont Louis-Marie Régis, père dominicain et professeur de philosophie bien connu pour son ouverture d'esprit. Après un an de travail, en février 1962, le rapport Régis est présenté à l'Assemblée nationale. Il se veut une réflexion essentielle sur l'état de la culture au tournant des années 1960 et il sera cité par les réformateurs dans les 10 années suivantes. Le clergé quant à lui a décidé de présenter son propre mémoire en dehors du travail du comité.
La venue d'André Guérin
En 1963, André Guérin est nommé à la présidence du Bureau de censure, enfin un président qui est nommé pour ses compétences. Diplômé de Harvard, ayant travaillé comme diplomate canadien et à la distribution internationale à l'ONF, il changera complètement le visage du Bureau de la censure en ayant une ouverture sur le monde et en faisant évoluer la tolérance et le pluralisme.
À partir de 1965, le clergé intervient de moins en moins auprès du Bureau, voyant qu'une grande partie de la population abandonne la pratique religieuse et acquiert une nouvelle liberté de pensée face aux dogmes et à l'autorité de l'Église. En moins de 10 ans, l'influence de l'Église catholique sur la censure a pratiquement disparu.
Création du Bureau de surveillance du cinéma
En 1967, année de l'Expo, le Québec s'ouvre au monde et se dote parallèlement d'une nouvelle Loi sur le cinéma. Le terme « censure » est aboli et remplacé par le mot « surveillance ». Le nouvel organisme prend donc le nom de Bureau de surveillance du cinéma du Québec (BSCQ). La censure disparait, dans le sens qu'il n'y a plus de coupure. Entre 1913 et 1967, on estime que le Bureau de la censure avait refusé plus de 6 000 films et en avait coupé autant.
Plutôt que d'interdire ou d'amputer les films, on leur attribue désormais une cote. Le Bureau autorise la projection d'un film au moyen d'un visa indiquant la catégorie de spectateurs. Le refus de classifier équivaut à l'interdiction de projeter un film (ce qui élimine qu'en apparence la censure). L'exploitation d'un ciné-parc est dorénavant permise à condition d'y présenter des films pour tous
L'affaire I, a Woman.
À l'hiver 1967, le film suédois I, a Woman qui raconte les aventures sexuelles d'une jeune infirmière en rupture avec son milieu trop religieux, obtient son permis du Bureau de la surveillance. Il s'agit d'un film provocant amputé volontairement de 7 minutes pas le distributeur. Présenté pendant 5 mois dans un cinéma de l'ouest de Montréal, le film attire 172 000 spectateurs sans réaction particulière du public ou des critiques. À l'été 1968, le film, amputé de 3 minutes, est présenté en version avec sous-titres français dans un cinéma de l'est de Montréal. En soirée, les policiers de l'escouade de la moralité de la ville de Montréal interrompent la projection, saisissent les pellicules, arrêtent le gérant et lui intentent une poursuite pour spectacle indécent. Le président Guérin se demande alors pourquoi un organisme provincial n'est-il pas au-dessus des autorités municipales. Le procès se tient quatre années plus tard et le juge déclare, après de nombreux témoignages d'experts, que le film n'est pas obscène.
L'annulation du Production Code aux États-Unis amène une prolifération de films érotiques dits « softcore ». Le Québec ne fait pas exception à la règle et produit des films comme Valérie, L’Initiation et Deux femmes en or. Ces films connaissent énormément de succès au « Box-Office ». Le Bureau de surveillance n'intervient plus, et autorise les permis sans problème, les mœurs ayant évolué. Certains membres du clergé ne l'entendent pas ainsi. Le père Raymond Lavoie, curé de la paroisse Saint-Roch à Québec, fait saisir par la police les films Pile ou Face et Après-ski et intente une poursuite contre les Cinémas unis sous l'accusation d'obscénité. Les réactions sont vives de la part de
l'industrie du cinéma et l’on demande au gouvernement de reconnaître que le Bureau de surveillance du cinéma soit la seule autorité responsable. Les deux poursuites se retrouvent en cours 2 ans plus tard, et seul Après-ski est condamné (confiscation des copies et amende de 400$ à l'exploitant) pour immoralité en vertu du Code criminel. Entre temps, ces 2 films jugés très moyens ont bénéficié d'une vaste publicité gratuite, et ont attiré des centaines de milliers de spectateurs, ce qui était au départ tout le contraire de l'intention du religieux.
Le cas Quiet Days in Clichy
Des pressions politiques amènent à retirer ce film de la circulation en pleine crise d'octobre 1970. Ayant obtenu son autorisation auprès du Bureau de surveillance de cinéma (à sa deuxième tentative), le film Quiet Days in Clichy est considéré par le critique Luc Perreault de la Presse comme « une étape dans l'escalade de l'érotisme au cinéma ». Le président Guérin, comme condition d'autorisation, demande au distributeur de faire une publicité discrète et de veiller strictement au respect de l'âge d'entrée. Les journaux à potins diffusent des photos aguichantes et des scènes les plus crues du film et, trois semaines plus tard, le Bureau se ravise et procède au retrait des 2 copies autorisées alors que 175 000 spectateurs ont déjà vu le film. Le Bureau fait savoir dans un communiqué de presse que des raisons tout à fait exceptionnelles sont à l'origine de cette décision. Selon le président Guérin du BSCQ, des représentations énergiques auraient été faites auprès du gouvernement qui à cause du climat de grand dérangement a préféré rappeler le film.
On apprend rapidement que c'était Jean Drapeau, champion de la moralité et en campagne pour sa réélection, qui a insisté auprès du premier ministre Bourassa pour retirer le film. Deux jours plus tard, une quinzaine de personnalités liés au monde du cinéma et des associations professionnelles font parvenir des messages au gouvernement pour dénoncer les pressions exercées sur M. Guérin et demande à ce dernier de faire preuve de son autonomie et de redonner le visa au film. Mais rien n'y fait, le film reste sous scellé. Deux ans plus tard, le BSCQ redonne son permis au film, les autorités gouvernementales demandant encore de justifier leur décision.
L'ONF et la censure politique
L'ONF qui a toujours été surveillé de près par le gouvernement n'avait pas été véritablement affecté par la censure politique jusqu‘ici. Cependant, la censure politique devient plus musclée au tournant des années 70.
Le film Cap d'espoir de Jacques Leduc raconte l'histoire d'un étudiant universitaire en visite en Gaspésie qui conteste le système en place : la politique provinciale et municipale, l’éducation, la religion, la répression policière, le monopole de Power Corporation dans la presse. Le tout s'achève par un cri ultime « Mangez toutt d'la marde ». Le film reste sous scellé pendant 6 ans, les autorités le jugeant trop vulgaire et provocateur et qu’il constitue une attaque directe à des personnages politiques.
En 1971, Denys Arcand réalise On est au coton, un film engagé sur les travailleurs de l'industrie du textile au Québec. Malgré le fait que Arcand accepte de retirer l'entrevue avec le patron anglophone, les dirigeants de l'ONF saisissent le film et interdisent sa diffusion. Des pressions ont été exercées sur l’ONF par les gestionnaires de l'usine de textile qui affirmaient que le film contenait des erreurs. Le film ne sera libéré que 5 ans plus tard, en 1976.
Des copies pirates du film avaient été faites avant la saisie et aujourd’hui il est possible de voir la version non censurée du film dans un coffret DVD de l’ONF offrant tous les documentaires d'Arcand. Fait cocasse, alors que On est coton était encore sous scellé en 1975, Arcand tourne le film Gina, un drame sur une strip-teaseuse à Louiseville. Il insère une scène dans Gina où l’on voit une équipe de cinéastes obligée d'interrompre le documentaire qu'elle tourne au sujet d’une usine de textile. Arcand demande aux comédiens de Gina de reprendre les scènes du film banni. Douce revanche.
En 1971, Gilles Groulx qui a toujours voulu tester le seuil de tolérance de l'ONF tourne le film 24 heures, un film d'actualité sociale. Il filme des manifestations syndicales, des manifestations dans les rues, des conférences de presse, des entrevues de jeunes « drop-outs » vivant en commune, etc.
Le film remet en question tout le système politique et économique et s'attaque également aux médias. Avant même que la postproduction du film ne soit terminée, le film est saisi et mis en coffre-fort. On le relâche 5 ans plus tard pour être complété. Il est finalement présenté à la Cinémathèque québécoise en 1977
Les temps changent
Au début des années 1980, il reste quelques restrictions concernant la pornographie dite « hardcore », mais toutes les autres formes de censure sont presque disparues. La venue de la vidéocassette domestique transforme l'industrie de la diffusion du cinéma.
En 1983 la loi sur le cinéma est révisée. La Régie du cinéma remplace le BSCQ et devient l’organisme responsable du classement des films au Québec. En 1991 la classification est ajustée et l’on ajoute la catégorie 16 ans ou plus.
À partir des années 1990, on note une augmentation de l'exploitation de la violence reliée à l'érotisme dans les films, ce qui amène une problématique nouvelle et d’autres réflexions au niveau de la permissivité. Puis avec l’arrivée de l'internet, l'État québécois s'en remet finalement à informer et à éduquer les usagers et donne le contrôle aux parents pour effectuer leurs propres choix.
Sources:
Ce bref dossier sur la censure est tiré en grande partie du livre d'Yves Lever intitulé Anastasie ou la censure du cinéma au Québec (Septentrion, 2008). Divisé en sept chapitres chronologiques, on suit l'histoire de la censure au cinéma en présentant pour chacune des époques les films qui ont marqué l'imagination et la réaction des autorités gouvernementales et religieuses. Le livre dévoile particulièrement l'influence du clergé pendant près de 70 ans sur la moralité de la société québécoise face au cinéma et plus concrètement sur le Bureau de la censure du Québec.
M. Lever, historien du cinéma, a également contribué avec Pierre Hébert et Kenneth Landry au Dictionnaire de la censure au Québec : littérature et cinéma (Fides, 2006), une brique de plus de 700 pages qui raconte sous forme de 300 entrées les cas les plus emblématiques de l'histoire des œuvres interdites au Québec.
M. Lever a aussi participé à la vidéo Les ennemis du cinéma : une histoire de la censure du Québec réalisé par Karl Parent (2008). Ce documentaire d'une soixantaine de minutes est agrémenté d'entrevues et d'extraits qui agrémentent les propos tenus dans le livre de M. Yves Lever.
La Saga des interdits : la censure cinématographique au Québec (2006) est un autre livre sur le sujet. Écrit dans un style populaire par Nicole M. Boisvert et Telesforo Tajuelo, le livre se veut un procès de la censure, mais selon l'historien Lever, le document souffre d'impartialité et de rigueur historique et présente des données fragmentaires.
Ces 4 documents sont disponibles dans le réseau de bibliothèques de la ville de Montréal.
Bon cinéma !
Un gros merci à ma conjointe Barbara pour son travail de révision et de correction.
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