SUGGESTION DU MOIS D'OCTOBRE 2021 /
Avertissement : ce texte dévoile certains dénouements du film.
Plusieurs se sont étonnés de la décision du réalisateur Sébastien Pilote de refaire un film sur Maria Chapdelaine, (voir la bande-annonce) le cèlèbre roman du terroir de Louis Émond. En effet, cette histoire avait déjà fait l'objet de 3 adaptations cinématographiques, dont la dernière, le Maria Chapdelaine (1983) de Gilles Carle qui était déjà considérée comme un classique du cinéma québécois. Après le visionnement du film, je peux dire sans me tromper que Sébastien Pilote a remporté son pari, en nous présentant un film somptueux, intimiste et plus authentique que les autres adaptations.
Pilote, natif du Saguenay-Lac-Saint-Jean, tourne un cinéma régional. Ses films à succès précédents Le Vendeur (2011), Le Démantèlement (2014), et La Disparition des lucioles (2018) ont tous été tournés dans sa région natale. Il était donc bien placé pour bien comprendre l'histoire de Maria Chapdelaine qui se déroule dans les terres reculées de la région de Péribonka.
Maria, une fille âgée de 17 ans, vit avec ses parents et ses 5 frères et sœurs à la limite du front pionnier, au milieu du bois. Son père qui avait déjà défriché des terres à Normandin et à Mistassini, a décidé d'aller encore plus au nord pour vivre loin des gens et des villages. Cela demande toutefois beaucoup de résilience à son épouse et à ses enfants qui sont privés de vie sociale. Malgré l’isolement de Maria, elle sera courtisée par 3 prétendants : François Paradis, un coureur des bois dont elle s'amourache puisqu'il représente pour elle la liberté ; Eutrope Gagnon, le seul voisin des Chapdelaine, qui est amoureux fou de Maria et qui lui offre la stabilité ; et Lorenzo Surprenant, un jeune qui a décidé de vendre la terre de son père défunt et de s'établir aux États-Unis. Surprenant fait miroiter une vie meilleure à Maria où elle n’aurait plus besoin de travailler. La disparition tragique de François Paradis et la mort inattendue de sa mère amènent Maria à rester auprès de sa famille plutôt que partir vers une vie rêvée.
L’auteur Louis Hémon, originaire de Brest en France, a écrit ce roman en 1912 lors d'un séjour de 10 mois dans la région du Lac-Saint-Jean. Il se fait engager comme ouvrier agricole à Péribonka par Samuel Bédard qui l'héberge pendant 6 mois. Les gens du village de Péribonka se demandent ce que cet étranger un peu bizarre vient faire chez eux, lui qui parle peu, qui écrit constamment dans un carnet, qui ne vas pas à la messe et les observe à la sortie de l'église. On le surnomme le « fou à Bédard ».
Hémon s'installe par la suite à Saint-Gédéon, de l'autre côté du lac, pour rédiger sa première version de Maria Chapdelaine. Puis, de retour à Montréal, il travaille comme traducteur et dactylographie son roman sur une machine à écrire de son employeur. Il en transmettra une copie à sa sœur et une autre au journal Le Temps à Paris. Deux jours plus tard, il quitte Montréal en direction de l'Ouest canadien pour y faire les moissons, mais en cours de route il est happé par un train à Chapleau en Ontario, un accident qui reste inexpliqué. Il meurt à l'âge de 33 ans avant même que son roman soit publié. Quelques années plus tard, le roman Maria Chapdelaine deviendra le premier « best seller » québécois. Il sera publié à plus de 20 millions d'exemplaires en 150 éditions et 25 langues.
Toutes les critiques des journaux québécois ont été élogieuses par rapport au film, lui attribuant 4 étoiles et plus. Odile Tremblay du journal Le Devoir l'a qualifié «d'une oeuvre de beauté et de silence» . En effet, le film qui dure 2h39 minute, est signée d'une superbe cinématographie. Le directeur photo Michel La Veaux a travaillé avec une nouvelle caméra 6K (équivalent d'IMAX) qui donne des images extraordinaires de paysages au gré des saisons. Les scènes hivernales sont particulièrement belles et rappellent les films classiques suédois. La musique de Philippe Brault, très belle et envoutante, vient envelopper les images.
Les décors et les costumes sont dignes de mention. Au coût de plus d'un million $, une maison et une grange ont été construites dans le fin fond des bois au nord de Normandin, et ce, avec les techniques d'époque. Par souci du détail, ils ont même fait venir du verre d'Allemagne pour refléter les défauts des vitres d'époque et ont réussi à trouver une vache avec des cornes comme à l'époque de la colonisation. Tous les costumes ont été tricottés à la main et conçus avec les matériaux utilisés pour les vêtements dans le temps.
Pour trouver sa Maria, Pilote a auditionné plus de 1300 jeunes filles. Son choix s'est arrêté sur Sarah Montpetit une activiste écologiste qui n'avait jamais fait du cinéma auparavant, mais qui étudie en théâtre au Cégep Saint-Laurent. Sa performance est particulièrement empreinte de naturel, de sobriété et de nuances. Elle ne parle peu, mais tout passe dans son expression non verbale.
La distribution comprend également Sébastien Ricard dans le rôle du père qui porte le film sur ses épaules et perce l'écran de vérité. Hélène Florent, la mère, joue une femme forte et résiliente qui contribue autant que les hommes au travail de défrichement.
Francois Paradis, interprété par Émile Schneider, n'a pas un rôle aussi prépondérant que dans le roman et que dans les autres adaptations cinématographiques. Antoine Olivier Pilon se glisse habilement dans le rôle d'Eutrope et le rend beaucoup plus sympathique et attirant que dans le roman. Le troisième prétendant, Lorenzo Surprenant, est joué avec brio par Robert Naylor. En fait, tous les acteurs, mêmes ceux qui jouent des rôles secondaires, sont excellents dans le film : Martin Dubreuil dans le rôle de l'homme engagé ; Gilbert Sicotte, un ami de la famille, toujours juste dans ses interprétations ; et Gabriel Arcand dans le rôle du docteur incompétent et insouciant qui ne fera que passer.
La première adaptation cinématographique de Maria Chapdelaine (voir l'annonce publicitaire) a été réalisé par Julien Duvivier à Péribonka en 1934. Ce film mettait en vedette Jean Gabin et Madeleine Renaud. Récemment (en 2016), Jean-Claude Labrecque a produit un documentaire attachant intitulé Sur les traces de Maria Chapdelaine (disponible sur le site Web de l'ONF). Le documentaire relate à partir de témoignages de personnes âgées et de documents d'archives, l’histoire du tournage de ce film.
En 1959, Marc Allégret a réalisé une seconde adaptation de Maria Chapdelaine avec Michèle Morgan dans le rôle titre. Malheureusement, ce film n'est plus disponible.
Puis, en 1983, Gilles Carle a tourné une 3e adaptation du roman (voir bande-annonce) beaucoup plus personnelle que les 2 précédentes. Carle se permettait plus de liberté dans le scénario, ce qui rend le film très intéressant. Carole Laure, Yoland Guérard, Amulettte Garneau, Nick Mancuso, Pierre Curzi, Donald Lautrec et Claude Rich en sont les principaux acteurs et sont tous excellents. Le film a été magnifiquement restauré par le programme Éléphant, mémoire du cinéma québécois. Il est disponible sur illico, le canal 900 de Vidéotron.
La Filmothèque des voisins comprend 2 autres films de Sébastien Pilote, Le Démantèlement (2014) mettant en vedette Gabriel Arcand, et La Disparition des Lucioles avec Karelle Tremblay (2018). Aussi disponibles à la filmothèque, 2 films mettant en vedette les acteurs principaux de Maria Chapdelaine : Avant que mon cœur bascule (2012) de Sébastien Rose avec Sébastien Picard, et Café de Flore (2011) de Jean-Marc Vallée avec Hélène Florent.
Le film Maria Chapdelaine est présentement à l'affiche au cinéma Beaubien, au cinéma Quartier Latin et ailleurs à Montréal.
Pour ceux et celles que cela pourrait intéresser, j'ai préparé pour le ciné-club de la Fondation Brébeuf une présentation PowerPoint sur le film Maria Chapdelaine qui comprend des documents vidéos. J'ai déposé la présentation sur le site Web du Ciné-club des voisins, sous la rubrique Films / Analysés à la Fondation Brébeuf.
Bon cinéma !
Comments